BLOG
DE CHRISTIAN SAINT ROCHE
COMMENT
DEVENIR TRES VITE EXPERT EN DEGUSTATION DE VINS
Pour
illustrer la nouvelle publication de mon ouvrage : « LA
BIBLE DU GOUT ET DES MOTS DU VIN », je publierai, régulièrement
dans un premier temps, durant plusieurs semaines, sur mon blog Goût
et Images, (goutsetimages.blogspot.com) mes réflexions acquises par
l'expérience, sur l'usage de la dégustation, ses effets sur les
dégustateurs, ses mystères, son influence sur nos comportements,
sur notre savoir ainsi que sur notre soif de culture. En résumé,
tout l'intérêt du principe de déguster sur notre personnalité. Le
tout confinant dans l'océan de l'acquisition de ce qu'on nomme d'un
mot devenu commun mais riche de mystère « le plaisir ».
La dégustation bien ordonnée et riche d'enseignements conduit à
la découverte d'émotions échelonnées sur des intensités
diverses, avant de parvenir à une finalité biologique, celle du
plaisir.
La
maîtrise de la dégustation nous rend plus intelligible, plus
interdépendant de la nature et de nos aliments. Notre esprit se
gorge de toutes les sensations qu'ils nous offrent à longueur
d'année. Le fait que la dégustation repose sur une assise
multidisciplinaire, c'est l'univers de la connaissance et celui des
sens qui s'interpénètrent pour notre plus grand plaisir.
---------oo O oo---------
LA
DEGUSTATION DES VINS ET DES ALIMENTS RENFORCE NOTRE SENS DE
L'HUMANITE -4 -
Blog
du 19 novembre 2012
POURQUOI
SOMMES-NOUS, SENSORIELLEMENT, DIFFÉRENTS ?
C'est de notoriété
publique que si tous les individus sont identiques sur le plan
morphologique, nous sommes tous différents en matière de
fonctionnement physiologique et psychologique.
La
dégustation nous apprend très vite que nous ne sommes pas —
tous les dégustateurs — pourvus du
même potentiel neurologique, émotionnel, affectif et culturel. Tout
ce qui, en majeure partie, façonne notre personnalité et imprime
des spécificités à nos comportements.
La
science neurologique nous apporte, chaque jour, des résultats
d'expérience. Ces milliards de connexions chez chaque individu
organisent un dispositif de régulation de pensées qui lui sont
propres. C'est pour cette raison que nos réponses et nos
comportements nous appartiennent.Ils ne peuvent être identiques et
le principe du « copier-coller » ne s'applique pas aux
personnes comme aux choses. Notre maîtrise vient de notre cerveau et
de ses capacités à contrôler ses pensées et réflexions. Quant à
l'analyse, elle passe inexorablement par les prismes de nos émotions,
de notre affect marqués par notre vécu.
Etant
donné que deux dégustateurs ne possèdent absolument pas de manière
identique l'histoire ni la matière qui les ont
bâtis, ils ne peuvent donc en aucune manière, dans leur réponse,
présenter une même analyse.
La
différence ne se limite pas à la partie mentale. Elle s'inscrit,
aussi, dans chaque génome constitutif d'un individu. Nous sommes le
résultat de l'addition des gènes apportés par moitié par notre
père et par notre mère avec des
caractères dominants et d'autres récessifs.
Par conséquent, notre propre construction génétique nous a donné
un matériel physiologique et neurologique qui nous est personnel et
que l'on transportera
dans notre chair, tout le long de
notre vie. Voilà pour ce qui est de l'inné.
En
matière de dégustation, que ce soit dans la phase sensorielle ou
dans la phase de la perception1,
nos organes des sens jugeront en fonction de leur propre potentiel,
celui que notre génome aura suscité. Puis, viendra l'analyse dans
la partie mentale, le lieu où notre vécu (historique, culturel...)
interviendra. Cette dernière phase, dite analytique, sera déterminée
en grande partie par ce qui appartient à nos acquis. Tout ce qui
nous environne, que ce soit dans notre famille, pendant toutes nos
scolarités et études, dans notre cocon social, où que nous nous
trouvions en société ou dans notre lieu professionnel, nos
vies intimes, tout ce qui nous conditionne que ce soit nos
traditions, nos us et coutumes, notre culture, nos rapports avec les
autres... tout cela façonne notre personnalité.
Pour être plus clair, je
vais prendre deux exemples de dégustateurs à qui nous allons
proposer deux vins bien précis en leur proposant de les déguster
dans des conditions parfaitement semblables.
Pour
simplifier, nous allons considérer que le dégustateur A et le
dégustateur B ont à peu près le même âge (environ 40 ans) mais
chacun a eu un parcours de vie différent.
Le
dégustateur A est issu d'une famille habituée à consommer
(modérément) du vin et il a donc toujours connu l'usage de la
bouteille sur la table. Son
éducation a été on ne peut plus normale, de son enfance jusqu'à
ses études. Puis il est entré dans la vie active, assez jeune,
comme cadre dans une société de service. Il appartient à la
catégorie des cadres moyens. Dans sa nouvelle vie de famille (marié
avec deux enfants), il
consomme régulièrement du vin, à table. Cerise sur le gâteau, il
s'est efforcé à devenir un amateur éclairé et il est devenu un
fin gourmet. C'est tout à fait normalement qu'il s'est inscrit à un
club d’œnophiles pour apprendre l'art de la dégustation pour
mieux apprécier et découvrir les vins. Ses préférences : il
aime les vins rouges avec des tanins ronds, souples, fruités, les
vins blancs assez nerveux et fruités et les vins liquoreux assez
friands, aromatiques mais surtout pas sirupeux. Des vins bien
équilibrés.
Le
dégustateur B est issu d'une famille qui ne l'a pas habitué à
consommer du vin régulièrement car, sur la table familiale on ne
servait que de l'eau. Sauf le dimanche, on sortait, à l'apéritif,
le fameux Monbazillac. Pour les fêtes, on s'offrait un mousseux (pas
de champagne car trop cher). Après de brillantes études, B est
devenu médecin et c'est, une fois installé, qu'il a fréquenté des
confrères amateurs de vins. Ils l'ont poussé à s'inscrire dans un
club d'œnophiles et de fins gourmets.
Entré dans ce club sur la
pointe des pieds, il prit de plus en plus ses aises et quelques mois
après, le vin lui avait dévoilé une grande partie de ses mystères.
Il était devenu un amateur éclairé et un fin dégustateur. Alors
que quelques temps auparavant, du vin, il ne connaissait que le
Monbazillac ! Alors, désireux de mieux connaître notre art de
vivre à la Française, il s'est mis à visiter des salons, à
voyager lorsque le temps des vacances le lui permettait.
Ses
préférences : les vins rouges assez tanniques, dotés d'une
belle acidité (l'empreinte des décideurs ou celle de l'autorité!).
Préférant les Bordeaux aux Bourgognes et appréciant quelques Côtes
du Rhône dont le Châteauneuf du Pape, l'Hermitage ou le Côte-Rôtie.
Il apprécie, en revanche, les vins blancs de Bourgogne
(Puligny-Montrachet, Meursault...). Il aime moins les liquoreux sauf
de grands Sauternes, ceux qui possèdent un équilibre affirmé entre
potentiel sucré et acidité.
Nous sommes en présence de
deux profils de personnalité différente avec des préférences très
pointues. Nous allons leur proposer d'analyser deux vins : un
vin rouge tannique (un Châteauneuf du Pape 2002 et un vin liquoreux
de grande qualité, un Sainte Croix du Mont.
Le
dégustateur A livre l'analyse suivante :
Châteauneuf du Pape du
Domaine x : robe sombre, aux reflets grenats profonds. Au nez,
ce vin exhale des notes très fruitées. Fruits rouges et noirs
(fraise, cassis, mûre). On relève des notes de fruits chauds,
confits puis elles laissent la place à des odeurs de réglisse puis
de garrigue (thym, sauge, basilic...). En bouche, on relève, dès
l'attaque, une puissance tannique noble soutenue par une charpente
solide. C'est un vin puissant, aux tanins très fruités qui
demandent encore à mûrir donc à évoluer. Le rapport puissance
alcool/acidité/tanin est d'un bel équilibre. « A mon
avis, je laisserai ce vin attendre dans ma cave un minimum de 5 à 8
ans en espérant qu'il « s'assagira » un peu, prendra
plus de souplesse, s'arrondira, gagnera en harmonie tout en
conservant sa panoplie fruitée ».
Le
dégustateur B livre l'analyse suivante :
Châteauneuf du Pape Domaine
x : robe foncée, d'un rouge sombre presque noir. Au nez, ce vin
présente des odeurs très fruitées, avec des notes complémentaires
plus végétales. En bouche, il devient vite séducteur grâce à sa
puissance tannique et un potentiel alcooleux qui lui construisent une
charpente solide et bien étoffée. « C'est le genre de vin
que j'apprécie parce qu'il s'affirme d'emblée et il porte en lui,
une structure autant verticale qu'horizontale pour une matière qui
interpelle, dès l'attaque en bouche, toutes les papilles. Tous
nos sens gustatifs sont comblés immédiatement . Séducteur
racé, il demeure en bouche de longues secondes, parce qu'il a une
longue histoire à raconter ».
Concernant le vin numéro
deux.
Le
dégustateur A livre son analyse :
Sainte Croix du Mont 2008 -
Château y : robe d'un jaune très brillant, avec des reflets
dorés soutenus. Au nez, merveilleuse gerbe d'odeurs rappelant la
cire d'abeille, le miel, les agrumes, le fruit de la passion, la
mangue, le coing, l'abricot mûr... d'une concentration très intense
et persistante. En bouche, l'attaque est très fruitée, la
sucrosité n'est pas violente mais bien structurée et fondue dans la
matière, soutenue par une acidité constante et très présente., ce
qui met en valeur la richesse aromatique du vin. On apprécie la
souplesse de ce vin, très velouté et très soyeux. Un excellent
millésime.
Le
dégustateur B livre, à son tour son analyse :
Sainte Croix du Mont 2008 –
Château y : robe or avec des reflets brillants, éclats de
diamants. Nez riche avec des odeurs de miel, de fruits jaunes,
d'épices d'une longue intensité. En bouche, l'attaque met en
exergue le côté liquoreux avec son lot d'arômes confirmés par
l'olfaction. Une pointe d'acidité équilibre la structure sucrée et
lui donne un peu de nerf. Une pointe d'acidité équilibre la
structure moelleuse et lui donne un certain « mordant »,
c'est-à-dire une sensation nerveuse. Après dégustation, la bouche
conserve une dominante sucrée avec ses fruits et ses épices.
Que constatons-nous après
lecture de ces analyses ? Deux profils différents autant dans
l'expression analytique — bien qu'elles comportent beaucoup de
similarités— mais moins dans la conception de la préférence.
Le
dégustateur A constate que le Châteauneuf du Pape est un très beau
vin, puissant, charpenté mais à son goût, il lui paraît trop
agressif pour ses propres perceptions et, au final, pour assurer un
certain plaisir. Par conséquent, il souhaite le voir mûrir et
s'arrondir un certain temps (3, 4 ou 6 ans?) dans sa cave avant d'y
revenir. Cette projection analytique sur ce vin ne représente-t-elle
pas une partie « ronde » du personnage, plutôt
diplomate, à l'écoute de l'autre, nuancé dans ses pensées ?
Le
dégustateur B apprécie ce Châteauneuf du Pape et il est à son
goût. Il apprécie cette charpente musclée et fruitée qu'il trouve
tout à fait à son goût et ce vin lui assure un immense plaisir.
Encore pourrions-nous nous poser la question qui nous titille
l'esprit... Cette analyse du médecin n'engage-t-elle pas l'hypothèse
qu'elle est le reflet, en quelque sorte, de ce qu'est vraiment cet
homme-là dans sa vie (professionnelle du moins, peut-être moins sur
le plan social!). C'est-à-dire une personne de caractère, chargé
d'autorité.
Que dire de l'état d'esprit
de ces deux dégustateurs ? Le dégustateur A a appris à
connaître les vins et avec toute son expérience, son vécu, ses
préférences, il opte pour le fruité et la souplesse du vin parce
que ces vins de ce type lui procurent sécurité, confort et
plaisir.
Le
dégustateur B a découvert les vins, tardivement, lorsque son statut
professionnel l'eut invité dans cet univers culturel. Et dans
lequel il y a découvert une somme de symboles et de coutumes,
marqueurs qui lui apportaient une nouvelle dimension celle de la
sincérité et des émotions. Le monde de la vigne et de tous ses
acteurs avec un produit riche d'histoire qui, plus est, apporte un
certain plaisir. Pour lui, les vins rouges doivent être charpentés,
solides, marqués par le bois de chêne apporteur d'arômes qu'il
apprécie. Bien entendu, il porte ses préférences pour les Bordeaux
qui, pour lui, sont les meilleurs exemples de ce qui se fait de mieux
sur terre. Bien qu'en avançant dans ses découvertes, le dégustateur
B a découvert et continue de découvrir d'autres vins, de France et
même d'ailleurs, d'Italie ou d'Espagne portant cette même marque de
fabrique. C'est, pour lui, une façon de voir les choses de la vie
qui elle-même se charge de forces, de puissances, de générosités,
de vivacités... Mais rien ne dit, qu'en prenant de l'âge, donc plus
d'expérience et par une simple évolution de ses préférences par
rapport aux demandes de son corps de dégustateur (B) n'ira pas
chercher des vins moins agressifs, plus souples, plus soyeux, y
compris parviendra-t-il, peut-être, à se délecter davantage de
vins liquoreux que ce qu'il apprécie aujourd'hui...parce que tout
simplement, sa personnalité aura elle-aussi évolué. En prenant de
l'âge, de la maturité on apprend à devenir plus tolérant, plus
assoiffé de « rondeur » dans nos analyses.
En
ce qui concerne le Sainte Croix du Mont, le dégustateur A trouve ce
vin remarquable. Il a tout simplement — pour toute explication —
un seuil de perception sucrée assez élevé ce qui explique qu'il
apprécie tant ce vin que les liquoreux de qualité en général,
peut-être parce que ce type de vin l'apaise, lui apporte,
sensoriellement, une forme de bien-être intérieur. Il ressent une
sérénité intime avant de conforter son plaisir.
Le
dégustateur B ne procède pas du tout de la même approche. S'il
apprécie le caractère organoleptique de ce vin, celui-ci (ce Sainte
Croix du Mont) en revanche n'entre pas dans ses vins préférés. Et
pour cause. Dans sa jeunesse pendant laquelle il a connu le fameux
Monbazillac des dimanches, à l'apéritif comme pour les cinq à six
chez l'oncle ou la vieille tante lui laisse en quelque sorte un goût
presque amer sur le plan psychologique. Celui des « corvées »
du dimanche : la messe obligatoire, la visite chez la famille et
ce vin qu'on servait à chaque occasion comme vin d'honneur. Pour
lui, c'était devenu plutôt le vin d'horreur. Le vin de cette mode
d'après guerre. Qui s'explique, toutefois.
Nous
en reparlerons dans le prochain blog.
1Quelle
est la différence entre la phase sensorielle et la phase de la
perception ? La phase sensorielle est la période de la prise
des informations par nos organes des sens. La phase de la perception
est la période de la reconnaissance par notre cerveau de la réalité
de l'information, la prise de conscience du message et le moment
précis où le cerveau l'identifie.