lundi 19 novembre 2012


BLOG DE CHRISTIAN SAINT ROCHE

COMMENT DEVENIR TRES VITE EXPERT EN DEGUSTATION DE VINS



Pour illustrer la nouvelle publication de mon ouvrage : « LA BIBLE DU GOUT ET DES MOTS DU VIN », je publierai, régulièrement dans un premier temps, durant plusieurs semaines, sur mon blog Goût et Images, (goutsetimages.blogspot.com) mes réflexions acquises par l'expérience, sur l'usage de la dégustation, ses effets sur les dégustateurs, ses mystères, son influence sur nos comportements, sur notre savoir ainsi que sur notre soif de culture. En résumé, tout l'intérêt du principe de déguster sur notre personnalité. Le tout confinant dans l'océan de l'acquisition de ce qu'on nomme d'un mot devenu commun mais riche de mystère « le plaisir ». La dégustation bien ordonnée et riche d'enseignements conduit à la découverte d'émotions échelonnées sur des intensités diverses, avant de parvenir à une finalité biologique, celle du plaisir.

La maîtrise de la dégustation nous rend plus intelligible, plus interdépendant de la nature et de nos aliments. Notre esprit se gorge de toutes les sensations qu'ils nous offrent à longueur d'année. Le fait que la dégustation repose sur une assise multidisciplinaire, c'est l'univers de la connaissance et celui des sens qui s'interpénètrent pour notre plus grand plaisir.



---------oo O oo---------



LA DEGUSTATION DES VINS ET DES ALIMENTS RENFORCE NOTRE SENS DE L'HUMANITE -4 -

Blog du 19 novembre 2012

POURQUOI SOMMES-NOUS, SENSORIELLEMENT, DIFFÉRENTS ?



C'est de notoriété publique que si tous les individus sont identiques sur le plan morphologique, nous sommes tous différents en matière de fonctionnement physiologique et psychologique.

La dégustation nous apprend très vite que nous ne sommes pas tous les dégustateurs — pourvus du même potentiel neurologique, émotionnel, affectif et culturel. Tout ce qui, en majeure partie, façonne notre personnalité et imprime des spécificités à nos comportements.

La science neurologique nous apporte, chaque jour, des résultats d'expérience. Ces milliards de connexions chez chaque individu organisent un dispositif de régulation de pensées qui lui sont propres. C'est pour cette raison que nos réponses et nos comportements nous appartiennent.Ils ne peuvent être identiques et le principe du « copier-coller » ne s'applique pas aux personnes comme aux choses. Notre maîtrise vient de notre cerveau et de ses capacités à contrôler ses pensées et réflexions. Quant à l'analyse, elle passe inexorablement par les prismes de nos émotions, de notre affect marqués par notre vécu.

Etant donné que deux dégustateurs ne possèdent absolument pas de manière identique l'histoire ni la matière qui les ont bâtis, ils ne peuvent donc en aucune manière, dans leur réponse, présenter une même analyse.

La différence ne se limite pas à la partie mentale. Elle s'inscrit, aussi, dans chaque génome constitutif d'un individu. Nous sommes le résultat de l'addition des gènes apportés par moitié par notre père et par notre mère avec des caractères dominants et d'autres récessifs. Par conséquent, notre propre construction génétique nous a donné un matériel physiologique et neurologique qui nous est personnel et que l'on transportera dans notre chair, tout le long de notre vie. Voilà pour ce qui est de l'inné.

En matière de dégustation, que ce soit dans la phase sensorielle ou dans la phase de la perception1, nos organes des sens jugeront en fonction de leur propre potentiel, celui que notre génome aura suscité. Puis, viendra l'analyse dans la partie mentale, le lieu où notre vécu (historique, culturel...) interviendra. Cette dernière phase, dite analytique, sera déterminée en grande partie par ce qui appartient à nos acquis. Tout ce qui nous environne, que ce soit dans notre famille, pendant toutes nos scolarités et études, dans notre cocon social, où que nous nous trouvions en société ou dans notre lieu professionnel, nos vies intimes, tout ce qui nous conditionne que ce soit nos traditions, nos us et coutumes, notre culture, nos rapports avec les autres... tout cela façonne notre personnalité.

Pour être plus clair, je vais prendre deux exemples de dégustateurs à qui nous allons proposer deux vins bien précis en leur proposant de les déguster dans des conditions parfaitement semblables.

Pour simplifier, nous allons considérer que le dégustateur A et le dégustateur B ont à peu près le même âge (environ 40 ans) mais chacun a eu un parcours de vie différent.

Le dégustateur A est issu d'une famille habituée à consommer (modérément) du vin et il a donc toujours connu l'usage de la bouteille sur la table. Son éducation a été on ne peut plus normale, de son enfance jusqu'à ses études. Puis il est entré dans la vie active, assez jeune, comme cadre dans une société de service. Il appartient à la catégorie des cadres moyens. Dans sa nouvelle vie de famille (marié avec deux enfants), il consomme régulièrement du vin, à table. Cerise sur le gâteau, il s'est efforcé à devenir un amateur éclairé et il est devenu un fin gourmet. C'est tout à fait normalement qu'il s'est inscrit à un club d’œnophiles pour apprendre l'art de la dégustation pour mieux apprécier et découvrir les vins. Ses préférences : il aime les vins rouges avec des tanins ronds, souples, fruités, les vins blancs assez nerveux et fruités et les vins liquoreux assez friands, aromatiques mais surtout pas sirupeux. Des vins bien équilibrés.

Le dégustateur B est issu d'une famille qui ne l'a pas habitué à consommer du vin régulièrement car, sur la table familiale on ne servait que de l'eau. Sauf le dimanche, on sortait, à l'apéritif, le fameux Monbazillac. Pour les fêtes, on s'offrait un mousseux (pas de champagne car trop cher). Après de brillantes études, B est devenu médecin et c'est, une fois installé, qu'il a fréquenté des confrères amateurs de vins. Ils l'ont poussé à s'inscrire dans un club d'œnophiles et de fins gourmets.

Entré dans ce club sur la pointe des pieds, il prit de plus en plus ses aises et quelques mois après, le vin lui avait dévoilé une grande partie de ses mystères. Il était devenu un amateur éclairé et un fin dégustateur. Alors que quelques temps auparavant, du vin, il ne connaissait que le Monbazillac ! Alors, désireux de mieux connaître notre art de vivre à la Française, il s'est mis à visiter des salons, à voyager lorsque le temps des vacances le lui permettait.

Ses préférences : les vins rouges assez tanniques, dotés d'une belle acidité (l'empreinte des décideurs ou celle de l'autorité!). Préférant les Bordeaux aux Bourgognes et appréciant quelques Côtes du Rhône dont le Châteauneuf du Pape, l'Hermitage ou le Côte-Rôtie. Il apprécie, en revanche, les vins blancs de Bourgogne (Puligny-Montrachet, Meursault...). Il aime moins les liquoreux sauf de grands Sauternes, ceux qui possèdent un équilibre affirmé entre potentiel sucré et acidité.

Nous sommes en présence de deux profils de personnalité différente avec des préférences très pointues. Nous allons leur proposer d'analyser deux vins : un vin rouge tannique (un Châteauneuf du Pape 2002 et un vin liquoreux de grande qualité, un Sainte Croix du Mont.

Le dégustateur A livre l'analyse suivante :

Châteauneuf du Pape du Domaine x : robe sombre, aux reflets grenats profonds. Au nez, ce vin exhale des notes très fruitées. Fruits rouges et noirs (fraise, cassis, mûre). On relève des notes de fruits chauds, confits puis elles laissent la place à des odeurs de réglisse puis de garrigue (thym, sauge, basilic...). En bouche, on relève, dès l'attaque, une puissance tannique noble soutenue par une charpente solide. C'est un vin puissant, aux tanins très fruités qui demandent encore à mûrir donc à évoluer. Le rapport puissance alcool/acidité/tanin est d'un bel équilibre. «  A mon avis, je laisserai ce vin attendre dans ma cave un minimum de 5 à 8 ans en espérant qu'il « s'assagira » un peu, prendra plus de souplesse, s'arrondira, gagnera en harmonie tout en conservant sa panoplie fruitée ».

Le dégustateur B livre l'analyse suivante :

Châteauneuf du Pape Domaine x : robe foncée, d'un rouge sombre presque noir. Au nez, ce vin présente des odeurs très fruitées, avec des notes complémentaires plus végétales. En bouche, il devient vite séducteur grâce à sa puissance tannique et un potentiel alcooleux qui lui construisent une charpente solide et bien étoffée. « C'est le genre de vin que j'apprécie parce qu'il s'affirme d'emblée et il porte en lui, une structure autant verticale qu'horizontale pour une matière qui interpelle, dès l'attaque en bouche, toutes les papilles. Tous nos sens gustatifs sont comblés immédiatement . Séducteur racé, il demeure en bouche de longues secondes, parce qu'il a une longue histoire à raconter ».

Concernant le vin numéro deux.

Le dégustateur A livre son analyse :

Sainte Croix du Mont 2008 - Château y : robe d'un jaune très brillant, avec des reflets dorés soutenus. Au nez, merveilleuse gerbe d'odeurs rappelant la cire d'abeille, le miel, les agrumes, le fruit de la passion, la mangue, le coing, l'abricot mûr... d'une concentration très intense et persistante. En bouche, l'attaque est très fruitée, la sucrosité n'est pas violente mais bien structurée et fondue dans la matière, soutenue par une acidité constante et très présente., ce qui met en valeur la richesse aromatique du vin. On apprécie la souplesse de ce vin, très velouté et très soyeux. Un excellent millésime.

Le dégustateur B livre, à son tour son analyse :

Sainte Croix du Mont 2008 – Château y : robe or avec des reflets brillants, éclats de diamants. Nez riche avec des odeurs de miel, de fruits jaunes, d'épices d'une longue intensité. En bouche, l'attaque met en exergue le côté liquoreux avec son lot d'arômes confirmés par l'olfaction. Une pointe d'acidité équilibre la structure sucrée et lui donne un peu de nerf. Une pointe d'acidité équilibre la structure moelleuse et lui donne un certain « mordant », c'est-à-dire une sensation nerveuse. Après dégustation, la bouche conserve une dominante sucrée avec ses fruits et ses épices.

Que constatons-nous après lecture de ces analyses ? Deux profils différents autant dans l'expression analytique — bien qu'elles comportent beaucoup de similarités— mais moins dans la conception de la préférence.

Le dégustateur A constate que le Châteauneuf du Pape est un très beau vin, puissant, charpenté mais à son goût, il lui paraît trop agressif pour ses propres perceptions et, au final, pour assurer un certain plaisir. Par conséquent, il souhaite le voir mûrir et s'arrondir un certain temps (3, 4 ou 6 ans?) dans sa cave avant d'y revenir. Cette projection analytique sur ce vin ne représente-t-elle pas une partie « ronde » du personnage, plutôt diplomate, à l'écoute de l'autre, nuancé dans ses pensées ?

Le dégustateur B apprécie ce Châteauneuf du Pape et il est à son goût. Il apprécie cette charpente musclée et fruitée qu'il trouve tout à fait à son goût et ce vin lui assure un immense plaisir. Encore pourrions-nous nous poser la question qui nous titille l'esprit... Cette analyse du médecin n'engage-t-elle pas l'hypothèse qu'elle est le reflet, en quelque sorte, de ce qu'est vraiment cet homme-là dans sa vie (professionnelle du moins, peut-être moins sur le plan social!). C'est-à-dire une personne de caractère, chargé d'autorité.

Que dire de l'état d'esprit de ces deux dégustateurs ? Le dégustateur A a appris à connaître les vins et avec toute son expérience, son vécu, ses préférences, il opte pour le fruité et la souplesse du vin parce que ces vins de ce type lui procurent sécurité, confort et plaisir.

Le dégustateur B a découvert les vins, tardivement, lorsque son statut professionnel l'eut invité dans cet univers culturel. Et dans lequel il y a découvert une somme de symboles et de coutumes, marqueurs qui lui apportaient une nouvelle dimension celle de la sincérité et des émotions. Le monde de la vigne et de tous ses acteurs avec un produit riche d'histoire qui, plus est, apporte un certain plaisir. Pour lui, les vins rouges doivent être charpentés, solides, marqués par le bois de chêne apporteur d'arômes qu'il apprécie. Bien entendu, il porte ses préférences pour les Bordeaux qui, pour lui, sont les meilleurs exemples de ce qui se fait de mieux sur terre. Bien qu'en avançant dans ses découvertes, le dégustateur B a découvert et continue de découvrir d'autres vins, de France et même d'ailleurs, d'Italie ou d'Espagne portant cette même marque de fabrique. C'est, pour lui, une façon de voir les choses de la vie qui elle-même se charge de forces, de puissances, de générosités, de vivacités... Mais rien ne dit, qu'en prenant de l'âge, donc plus d'expérience et par une simple évolution de ses préférences par rapport aux demandes de son corps de dégustateur (B) n'ira pas chercher des vins moins agressifs, plus souples, plus soyeux, y compris parviendra-t-il, peut-être, à se délecter davantage de vins liquoreux que ce qu'il apprécie aujourd'hui...parce que tout simplement, sa personnalité aura elle-aussi évolué. En prenant de l'âge, de la maturité on apprend à devenir plus tolérant, plus assoiffé de « rondeur » dans nos analyses.

En ce qui concerne le Sainte Croix du Mont, le dégustateur A trouve ce vin remarquable. Il a tout simplement — pour toute explication — un seuil de perception sucrée assez élevé ce qui explique qu'il apprécie tant ce vin que les liquoreux de qualité en général, peut-être parce que ce type de vin l'apaise, lui apporte, sensoriellement, une forme de bien-être intérieur. Il ressent une sérénité intime avant de conforter son plaisir.

Le dégustateur B ne procède pas du tout de la même approche. S'il apprécie le caractère organoleptique de ce vin, celui-ci (ce Sainte Croix du Mont) en revanche n'entre pas dans ses vins préférés. Et pour cause. Dans sa jeunesse pendant laquelle il a connu le fameux Monbazillac des dimanches, à l'apéritif comme pour les cinq à six chez l'oncle ou la vieille tante lui laisse en quelque sorte un goût presque amer sur le plan psychologique. Celui des « corvées » du dimanche : la messe obligatoire, la visite chez la famille et ce vin qu'on servait à chaque occasion comme vin d'honneur. Pour lui, c'était devenu plutôt le vin d'horreur. Le vin de cette mode d'après guerre. Qui s'explique, toutefois.

Nous en reparlerons dans le prochain blog.




1Quelle est la différence entre la phase sensorielle et la phase de la perception ? La phase sensorielle est la période de la prise des informations par nos organes des sens. La phase de la perception est la période de la reconnaissance par notre cerveau de la réalité de l'information, la prise de conscience du message et le moment précis où le cerveau l'identifie.